Lieu de mémoire acadien :
Premier tintamarre de la digue piétonne, Saint-Aubin-sur-Mer.
En décembre 2022, près de Caraquet (Nouveau-Brunswick), disparaissait à l’âge de 98 ans Arthur Haché, le dernier vétéran de la péninsule acadienne encore vivant qui a pris part au débarquement du 6 juin 1944 en Normandie. Il avait alors participé, en tant que soldat du régiment d’infanterie canadienne du North Shore (Nouveau-Brunswick), à la libération de Saint-Aubin-sur-Mer. Arthur Haché et ses camarades acadiens n’étaient restés, avec leur régiment, qu’une journée dans ce village normand qui symbolisait pour eux le retour sur la terre de leurs ancêtres[1]. C’est pour commémorer ce lien historique qu’a été organisée, du 9 au 16 août 2006, la première édition de la Semaine acadienne, à Saint-Aubin-sur-Mer. L’événement a connu son apothéose le 15 août, jour de la fête nationale des Acadiens. Arthur Haché a d’abord inauguré une plaque mémorielle, à la brèche des Acadiens, en l’honneur du passage de son régiment au même endroit, 62 ans plus tôt. Ensuite, un imposant tintamarre de 3000 personnes s’est déroulé sur la digue piétonne, affirmant haut et fort l’identité acadienne. Premier du genre en France, il suivait l’exemple de la nouvelle tradition du tintamarre à Caraquet, où se déroule le plus grand tintamarre annuel depuis sa première édition, le 15 août 1979, à l’occasion du 375e anniversaire de l’Acadie. Toutefois, ce n’est pas à Caraquet que se trouve l’origine de cette nouvelle tradition, mais bien plus au sud, à Moncton. Voici une brève histoire du tintamarre acadien…
On est venus c’est pour rester !
Restons tout d’abord à Saint-Aubin-sur-Mer. Bien sûr, le tintamarre de 2006 honorait le passage des soldats acadiens du North Shore dans ce village normand, sur la terre de leurs ancêtres. En revendiquant l’identité acadienne, les participants ravivaient surtout le souvenir douloureux de la déportation, en 1755 et 1756, des Acadiens de la Nouvelle-Ecosse et de l’actuel Nouveau-Brunswick dans les colonies anglo-américaines. Plus largement, ils incitaient bruyamment à se remémorer le Grand dérangement des Acadiens condamnés à errer en Amérique du nord et à travers l’Atlantique pendant un demi-siècle, comme le détaille la Commission de l’Odyssée acadienne. En particulier, à partir de l’automne 1758, de nombreux réfugiés acadiens avaient débarqué sur les côtes de France, déportés pour la plupart de l’île Saint-Jean (actuelle Île-du-Prince-Edouard) ou de la Nouvelle-Ecosse. Plusieurs centaines d’entre eux avaient débarqué en Normandie, dans les ports de Cherbourg et du Havre, parfois même en faisant souche dans leur région d’accueil. En 2006, sur la digue piétonne, le tintamarre était aussi l’affaire des descendants des réfugiés acadiens en Normandie…
Remontons maintenant au 375e anniversaire de l’Acadie, en août 1979, à Caraquet, organisé par la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick. En arborant fièrement leur slogan du 375e anniversaire « On est venus c’est pour rester », les organisateurs voulaient que tous les Acadiens se sentent chez eux au Nouveau-Brunswick. Et c’est bien ce qui s’est passé. Grand moment festif du 375e anniversaire, le premier tintamarre acadien est vite devenu une tradition annuelle, le 15 août, dans la péninsule acadienne, principalement à Caraquet où il a attiré jusqu’à 40000 participants en 2009. L’implantation a été plus difficile dans le reste de la province, ainsi qu’en Nouvelle-Ecosse et dans l’Île-du-Prince-Edouard, à majorité anglophone, où les Acadiens hésitent à afficher leur identité. Et pourtant, c’est à Moncton, à majorité anglophone, qu’est née la nouvelle tradition du tintamarre, 24 ans plus tôt. En août 1955, l’église catholique organisait les festivités du 200e anniversaire de la dispersion des Acadiens, dont l’ouverture, le 10 août, promettait d’être retentissante…
L’origine du tintamarre acadien
L’archevêque de Moncton, Norbert Robichaud, avait donné des instructions officielles pour que soit déclarée l’ouverture des fêtes du bicentenaire acadien, à 7 heures du soir. Ronald Labelle en fournit un extrait : « Les cloches de toutes les églises sonneront pendant deux minutes pour annoncer l’ouverture officielle des fêtes du bicentenaire acadien. Dès que les cloches commenceront à sonner, chaque famille se mettra à genoux, dehors, devant sa maison, et récitera à haute voix la belle prière du bicentenaire. Une fois la prière terminée, on fera pendant plusieurs minutes, un joyeux tintamarre de tout ce qui peut crier, sonner, et faire du bruit : sifflets de moulin, klaxons d’automobile, clochettes de bicyclettes, criards, jouets, etc… ». Ce joyeux tintamarre, organisé sous forme de réjouissance collective, s’apparentait, bien que par contraste, au tapage de protestation de l’ancienne coutume du charivari[2]. Tout premier du genre en Acadie, il avait duré cinq minutes et réuni 5000 personnes.
Preuve de l’importance de l’événement, Radio-Canada avait envoyé à Moncton son journaliste et futur politicien, René Lévesque, pour le commenter : « Ici à Moncton et dans toute l’Acadie, c’est l’heure du tintamarre … c’est non plus une simple survivance, mais la vie tout court qui éclate. La vie frémissante en 1955 de ces Acadiens de partout. ». Voici ci-dessus un court montage vidéo de l’événement, où on dévoile l’existence de ces Acadiens qui viennent de partout, du Québec, de France, de Louisiane, tous descendants des victimes du Grand dérangement. Comme le précise un Acadien de France : « Il y a des Acadiens en particulier en Bretagne et dans le Poitou à l’endroit très typique que l’on appelle la Ligne acadienne. ». Le tintamarre de Moncton résonnait déjà jusqu’aux côtes de France, sans oublier la côte normande.
Depuis sa première édition en août 2006, la Semaine acadienne se déroule désormais, chaque année, à Courseulles-sur-Mer et sur la Côte de Nacre, où le Grand tintamarre de Courseulles-sur-Mer perpétue la tradition solidement établie depuis 1979 à Caraquet. Si René Levesque vivait encore, il se réjouirait que le 15 août, de chaque côté de l’Atlantique, au son des crécelles, des tambours et des casseroles, la « vie tout court » de ces Acadiens de partout éclate toujours autant.
Image d’en-tête : Plage en Normandie (peinture de Gustave Courbet, National Gallery of Art, domaine public).
Jean-Marc Agator