port de rochefort

Rochefort Le centre d’accueil des réfugiés

Lieu de mémoire acadien et canadien :

Hôtel de la marine (dépôt des colonies), Rochefort.

Au 18e siècle, l’arsenal de Rochefort était le principal entrepôt de soutien logistique aux colonies. Il bénéficiait d’un arrière-pays très riche, le long de la Charente ou par les ports de La Rochelle et Bordeaux. De même, l’embouchure de la Charente était un lieu idéal pour le mouillage, l’armement et le désarmement des navires. Dès la fin de la guerre de Sept Ans, le port de Rochefort a dû s’adapter pour préparer l’armement des navires destinés aux colonies restées françaises[1]. Cependant, les défaites successives de la Nouvelle-France ont aussi conduit Rochefort à se convertir, dès octobre 1758, en centre d’accueil des réfugiés d’Amérique du nord, militaires et civils. C’est précisément pour venir en aide à ces réfugiés qu’une autre mission lui a été assignée, une mission royale de la plus haute importance, dont la mémoire a aujourd’hui disparu…

forteresse de louisbourg reconstruite
Vue de la forteresse de Louisbourg en partie reconstruite, Île du Cap Breton, Nouvelle-Ecosse (auteur Dennis Jarvis, licence CC BY-SA 2.0)

Après la perte de la ville fortifiée de Louisbourg, capitale de l’Île Royale, fin juillet 1758, puis la capitulation de Québec, en septembre 1759, et de Montréal, un an plus tard, de nombreux réfugiés civils ont débarqué à Rochefort et La Rochelle. Au même moment étaient regroupées à Rochefort les troupes de l’Île Royale, rapatriées des prisons anglaises, puis celles du Canada, envoyées directement en France. Selon Emile Lauvrière, il y avait déjà à Rochefort et La Rochelle, en mars 1765, 367 colons acadiens, canadiens ou de l’Île Royale recevant une allocation de subsistance du roi. Les réfugiés étaient encore plus nombreux à l’échelle du pays, répartis dans différents ports de l’Atlantique et de la Manche. Mais beaucoup d’entre eux n’avaient pas pu emporter leurs papiers personnels, ce qui pouvait remettre en cause leur droit à bénéficier durablement des aides de l’Etat.

Un dépôt des colonies à Rochefort

Face à la détresse des réfugiés, incapables de produire les pièces justificatives nécessaires, l’idée de créer un dépôt centralisant les documents d’état civil des anciens colons de la Nouvelle-France émerge rapidement. Comme le précise Alain Morgat, dans un article très complet sur ce sujet, l’initiative est venue du sieur Haran, écrivain de marine, secrétaire de l’intendance de la marine, à Rochefort. Son mémoire adressé au ministre Choiseul, au nom de l’intendant, proposait d’établir à Rochefort un dépôt d’archives des « colonies septentrionales et méridionales », en incluant donc l’ancienne Nouvelle-France. Sans aucun doute, ce dépôt permettait de faciliter la recherche et la communication de documents et de soulager ainsi la souffrance des particuliers plongés dans l’incertitude du sort de leurs proches.

hôtel de ma marine à rochefort
Hôtel de la marine, à Rochefort, ancienne maison du roi devenue, en 1800, la préfecture maritime et, aujourd’hui, le siège du commandement des écoles de la gendarmerie nationale (auteur Langlays, licence CC BY-SA 4.0)

Finalement, le dépôt des colonies est créé officiellement le 1er février 1765 à Rochefort, dans les locaux de l’actuel hôtel de la marine, alors maison du roi, résidence de l’intendant de la marine depuis 1671. Jusqu’en juin 1776, le dépôt des colonies de Rochefort va assurer la gestion des papiers de toutes les possessions françaises d’outremer. Pourtant, à cette date, un dépôt des papiers publics des colonies est officiellement créé à Versailles. Manifestement, l’Etat privilégiait la création d’un dépôt au centre du royaume, semblant ignorer celui de Rochefort. En juillet 1776, une dépêche du ministre de la marine ordonne même que tous les papiers conservés au dépôt de Rochefort soient transférés à celui de Versailles.

En août 1776, après protestation de l’intendant de la marine de Rochefort, le ministre consent à maintenir à Rochefort les archives de l’ancienne Nouvelle-France, mais réclame que les autres archives soient transférées à Versailles. Il ne fait aucun doute que la fin du dépôt de Rochefort était programmée. Fin octobre 1789, après la mort du sieur Haran, le ministre décide de supprimer le dépôt définitivement. Une querelle de plus entre le pouvoir central et la province ? Sans doute, mais c’est bien le mouvement inverse qui s’est produit en 1966, quand le nouveau dépôt des archives nationales d’outremer a été inauguré à Aix-en-Provence. Aujourd’hui, quand on évoque l’origine des fonds conservés à Aix-en-Provence, on pense au dépôt de Versailles, présenté comme une création originale. Mais celui-ci est bien l’héritier de celui de Rochefort, dont la mémoire a malheureusement disparu et mériterait d’être restaurée.

Image d’en-tête : Vue du port de Rochefort au 18e siècle, depuis le magasin des Colonies (Artiste Joseph Vernet, musée national de la Marine à Rochefort, domaine public).

Jean-Marc Agator

Sources

Lauvrière, Emile ; La tragédie d’un peuple, tome 2 ; Editions Brossard, Paris, 1922, p.286-287.

Martin, Sébastien ; Rochefort arsenal des colonies au 18e siècle ; Presses universitaires de Rennes, 2015.

Morgat, Alain ; Comment l’arsenal de Rochefort s’est réinventé après la perte de la Nouvelle-France ; Revue Nouvelle-France, N°3, janvier 2021, p.84-91.

Morgat, Alain ; Le Dépôt des colonies de Rochefort (1765-1790), dans Combattre et Gouverner – Dynamiques de l’histoire militaire de l’époque moderne (direction Bertrand Fonck et Nathalie Genet-Rouffiac) ; Presses universitaires de Rennes, 2015.

Archives nationales d’outremer (présentation), à Aix-en-Provence.

Ministère de la culture ; Plateforme ouverte du patrimoine (POP).


[1] En se limitant aux colonies d’Amérique : Louisiane (occidentale), Guyane, Antilles (Saint-Domingue, Guadeloupe, Martinique, Sainte-Lucie), Saint-Pierre et Miquelon.

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