peinture murale de l'église saint-germain-des-prés

Paris Le Saint-Esprit au secours des exilés

Lieux de mémoire acadiens :

Place d’Acadie, Paris 6e.

Séminaire du Saint-Esprit, 30 rue Lhomond, Paris 5e.

Le 8 mars 1984, l’ancien maire de Paris, Jacques Chirac, inaugurait la place d’Acadie[1], située au carrefour des rues du Four, Mabillon, de Montfaucon et du boulevard Saint-Germain, dans le sixième arrondissement. Le choix de ce carrefour ne devait manifestement rien au hasard, à deux pas de la place du Québec, inaugurée en 1980, et de l’église Saint-Germain des Prés qui lui fait face. On ne peut surtout qu’être frappé par la force symbolique du lieu. L’église paroissiale Saint-Germain des Prés est une ancienne abbaye bénédictine fondée au 6e siècle. Les rues Mabillon et de Montfaucon portent les noms de deux célèbres moines érudits bénédictins. La rue du Four doit son nom à l’ancien four banal appartenant à l’abbaye de Saint-Germain des Prés, situé à l’actuel croisement de la rue de Rennes, où les habitants devaient obligatoirement faire cuire leur pain. En affirmant que « l’Acadie est un exemple rare de loyauté à ses ancêtres et à ses racines », le maire de Paris honorait ainsi l’héritage français et catholique des Acadiens. Pour autant, au-delà de la visibilité donnée à l’Acadie par le très fréquenté quartier Saint-Germain, le patrimoine religieux parisien offre, à proximité, une belle opportunité de célébrer deux Acadiens particulièrement exemplaires…

cour intérieure de la congragation du saint-esprit
Cour intérieure de la Congrégation du Saint-Esprit, 30 rue Lhomond, Paris 5e (auteur VVVCFFrance, licence CC BY-SA 4.0)

Dans le cinquième arrondissement voisin, au 30 rue Lhomond, se dresse un ensemble de bâtiments des 17e et 18e siècles, dont les façades sur la rue et sur le jardin sont inscrites au titre des monuments historiques[2]. C’est la maison mère de la congrégation du Saint-Esprit (Spiritains). Lors de sa création, en 1703, sa vocation était de former des prêtres au service des missions les plus délaissées. A partir de 1734, le séminaire du Saint-Esprit a formé des prêtres missionnaires envoyés dans les colonies françaises, comme le Canada et l’Acadie. C’est dans ce contexte qu’en septembre 1767, un jeune Acadien de 23 ans a été admis au séminaire du Saint-Esprit pour étudier la philosophie et la théologie, sous les auspices de l’abbé de l’Isle-Dieu, vicaire général du diocèse de Québec en France. Il était d’ailleurs accompagné de son demi-frère de 24 ans, destiné lui aussi à la carrière ecclésiastique. Qui étaient ces deux étudiants, déjà formés dans un petit séminaire du diocèse de Saint-Malo ?

En mission en Acadie et au Canada

En 1766, l’abbé de l’Isle-Dieu avait appris que les Britanniques interdisaient l’entrée au Canada[3] de prêtres venus d’Europe « à moins qu’ils ne soient originaires du Canada ou de quelques-unes des colonies qui composent le territoire de son diocèse ». Il avait donc encouragé la vocation vers le sacerdoce de plusieurs jeunes Acadiens réfugiés en France, dont l’origine nord-américaine devait leur faciliter l’admission au Canada. Joseph Mathurin Bourg et son demi-frère Jean-Baptiste Bro (Brault) ont été les deux premiers de ces Acadiens à finir leur formation dans la maison mère des Spiritains, mais les deux seuls à être envoyés au Canada où, en 1772, ils ont été ordonnés prêtres. L’abbé de l’Isle-Dieu avait prudemment fait valoir à Londres qu’ils étaient d’origine acadienne et allaient rejoindre le reste de leurs familles au Canada.

Nés tous deux en Acadie, à Rivière-aux-Canards (Nouvelle-Ecosse), l’abbé Bourg et l’abbé Brault avaient été déportés jeunes en 1755, en Virginie puis en Angleterre. En mai 1763, ils avaient été transférés en France, à Saint-Malo, avec leur famille commune élargie[4], et étaient entrés tous deux dans un petit séminaire du diocèse. Leurs parcours étaient donc en tout point semblables, de même que leur vocation sacerdotale. Ils souhaitaient vivement l’un et l’autre apporter un secours spirituel à leurs compatriotes acadiens disséminés en Amérique du Nord parmi les colons anglophones protestants.

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Carleton-sur-Mer (baie des Chaleurs, Québec), où l’abbé Joseph Mathurin Bourg s’est installé en 1773 (auteur Dennis Jarvis, licence CC BY-SA 2.0)

Pourtant, l’histoire a retenu plus facilement le nom de l’abbé Bourg. Nommé vicaire général en Acadie, il est devenu, après la dispersion, le premier prêtre acadien à œuvrer en Nouvelle-Ecosse, qui incluait le territoire actuel du Nouveau-Brunswick, et dans la baie des Chaleurs. De plus, à partir de 1778, il a joué un rôle précieux de pacification des Amérindiens, s’assurant ainsi de leur neutralité dans la guerre contre les insurgés américains. De ce fait, il a entretenu de bonnes relations avec les autorités civiles britanniques. En se dépensant sans compter auprès des Acadiens, il a largement contribué à leur redonner confiance.

Quant à l’abbé Brault, il n’est jamais revenu en Acadie, mais s’est consacré aux Acadiens exilés du Massachusetts et du Connecticut regroupés dans la paroisse de L’Assomption, au nord de Montréal. Fin 1774, il est devenu curé de la paroisse de Saint-Jacques, tout juste fondée par des Acadiens à proximité de L’Assomption, où il a su, par sa douceur et sa bienveillance, s’attirer l’estime de ses paroissiens.

La conclusion s’impose d’elle-même. A Paris, au 30 rue Lhomond, deux séminaristes et demi-frères acadiens se sont engagés avec ferveur à servir leurs compatriotes en Acadie et au Canada. C’est à leur parcours exemplaire qu’aurait pu aussi rendre hommage le maire de Paris, le 8 mars 1984, place d’Acadie.

Image d’en-tête : Peinture murale de l’église Saint-Germain-des-Prés, représentant la Transfiguration, par le peintre Hippolyte Flandrin (auteur GO69, licence CC BY-SA 4.0).

Jean-Marc Agator

Sources

Degrâce, Eloi, « Joseph-Mathurin Bourg », Hébert, Pierre-Maurice, « Jean-Baptiste Bro ou Brault », dans le Dictionnaire biographique du Canada, Université Laval/University of Toronto, 2003, consulté le 9 novembre 2022.

Hillairet, Jacques ; Dictionnaire historique des rues de Paris ; Les Editions de Minuit, Paris, 1985.

Mouhot, Jean-François ; Les réfugiés acadiens en France – 1758-1785, l’impossible réintégration ? Presses Universitaires de Rennes, 2012 (p. 168-169) ; Et base documentaire associée, Septentrion (abbé de l’Isle-Dieu).


[1] Journal Le Soleil « Une Place d’Acadie est inaugurée à Paris », Québec, samedi 10 mars 1984.

[2] J. Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris (1985), tome 2, p. 43 (30 rue Lhomond).

[3] Devenu la Province de Québec en 1763, sous le régime britannique.

[4] Le chef de famille était Michel Bourg, père de Joseph Mathurin Bourg, marié en secondes noces à Brigitte Martin, mère de Jean-Baptiste Brault (d’un premier lit).

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