le pont neuf à paris

Paris La Bastille pour services rendus

Lieux de mémoire canadiens :

Rue des Deux Boules (premier domicile de Vaudreuil), Paris 1er.

Rue des Tournelles (second domicile de Vaudreuil), Paris 3e et 4e.

L’homme s’est éteint le 4 août 1778 à Paris, à l’âge de 80 ans, dans sa maison de la rue des Tournelles, à deux pas de la place Royale (actuelle place des Vosges). Rentré péniblement en France dix-huit ans plus tôt, il a dû affronter trois années difficiles, injustement mis en cause dans l’affaire dite « du Canada », consécutive à la perte de la Nouvelle-France. Il habitait alors avec son épouse, à Paris, dans leur hôtel de la rue des Deux-Boules, non loin du pont Neuf (actuel premier arrondissement). A l’automne 1763, inconsolable de la perte de son épouse, il attendait avec inquiétude la conclusion imminente de son procès humiliant. Voici un bref récit de la retraite mouvementée en France du Canadien Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil, officier des troupes de la marine, dernier gouverneur général de la Nouvelle-France…

pierre rigaud de vaudreuil
Portrait de Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil (attribué au portraitiste Donat Nonotte, domaine public)

Nous sommes le 8 septembre 1760 à Montréal. Le gouverneur Vaudreuil vient de signer l’acte de capitulation de la Nouvelle-France, qui entraîne un exode massif de militaires et de civils vers la France. Vaudreuil sait qu’en ayant accepté de se soumettre aux exigences des Britanniques, il a épargné aux Canadiens des souffrances inutiles mais sans pouvoir sauver l’honneur de l’armée et ainsi plaire au roi. Le 20 septembre, il embarque à Montréal sur le Molineux, avec son épouse et sa suite, en direction de la France. Hélas, le vaisseau britannique s’échoue au lac Saint-François et s’avère ensuite incapable de poursuivre le voyage vers la France. Vaudreuil se serait bien passé de cette deuxième humiliation. Le 18 octobre, il part enfin de Québec sur l’Aventure, à destination de Brest, sans illusion sur la suite de sa carrière…

Un long procès humiliant

Début décembre 1760, quelques jours seulement après son arrivée à Brest, l’ancien gouverneur Vaudreuil reçoit des nouvelles de Choiseul, principal ministre de Louis XV. Le roi est mécontent que le Canada ait été livré à l’ennemi. Une dernière résistance aux attaques britanniques n’aurait-elle pas permis, à tout le moins, d’obtenir une sortie plus honorable à l’armée de sa majesté ? Cet étonnement du roi ne remet cependant pas en cause l’estime du ministre Choiseul pour son ancien gouverneur. En réalité, le danger est ailleurs, puisque de retour à Paris, Vaudreuil est vite impliqué dans l’affaire du Canada. Manifestement, le gouvernement cherche un bouc émissaire de haut rang pour la perte de son empire colonial d’Amérique du nord et pour les dépenses colossales qu’il a engagées pour le défendre. En novembre 1761, l’intendant Bigot, accusé de malversations pendant la guerre de Sept Ans, est envoyé à la Bastille. Et puisque cela ne suffit pas, des accusations sont portées contre l’ancien gouverneur Vaudreuil qui est envoyé lui aussi à la Bastille, le 30 mars 1762, à l’âge de 63 ans.

la bastille avant 1789
La Bastille avant 1789. Reproduction d’une gravure du 18e siècle exposée dans le musée de la tour Montparnasse (auteur inconnu, domaine public)

Depuis son retour à Paris, Vaudreuil vivait rue des Deux-Boules[1] avec son épouse Jeanne Charlotte, plus âgée que lui de seize ans, et ses domestiques. De santé fragile, maintenant emprisonné à la Bastille, l’ancien gouverneur supporte difficilement mais dignement sa détention. Il obtient d’ailleurs quelque indulgence du ministre Choiseul qui l’autorise à garder son plus fidèle domestique dans sa chambre, un esclave noir nommé Canon. Vaudreuil est finalement remis en liberté provisoire le 18 mai 1762, alors que l’instruction de l’affaire du Canada se poursuit. A l’automne 1763, son épouse meurt à 80 ans des suites d’une pénible maladie. Ce deuil laisse Vaudreuil profondément affligé. Heureusement, le 10 décembre 1763, le tribunal du Châtelet le décharge enfin des accusations portées contre lui.

Vaudreuil s’est alors senti revivre et ce d’autant plus que le roi, somme toute satisfait des services rendus par son gouverneur du Canada, l’a aussitôt gratifié de la grand-croix de l’ordre de Saint-Louis. Le roi lui a ensuite accordé une pension supplémentaire de 6000 livres. Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil, maintenant veuf, pouvait désormais envisager une retraite paisible, rue des Tournelles, tout près de la sinistre Bastille qui symbolisait tant l’arbitraire royal. Injustement mis en cause, accablé par la mort de son épouse, il avait sombré dans le désespoir avant d’être innocenté et finalement récompensé. On n’était pas à une contradiction près.

Image d’en-tête : Le Pont Neuf à Paris (peinture de Gustave Cariot, domaine public).

Jean-Marc Agator

Sources

Drolet, Yves ; Dictionnaire généalogique de la noblesse de la Nouvelle-France, 3ème édition ; Editions de la Sarracénie, Montréal, 2019, p.671, 675.

Eccles, W.J. ; Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial ; Dictionnaire biographique du Canada, Université Laval/University of Toronto, 1980, consulté le 11 septembre 2022.

Larin, Robert ; Canadiens en Guyane 1754-1805 ; Septentrion (Québec), PUPS (Paris), 2006.

Roy, Pierre-Georges ; Bigot et sa bande et l’affaire du Canada ; Lévis, 1950.


[1] Archives de la Bastille, Documents inédits publiés par F. Ravaisson-Mollien, Paris, 1903.

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