combat de corsaires anglais et français

Morlaix Un vrai repaire de corsaires

Lieux de mémoire acadiens :

Eglise Saint-Martin (la plus fréquentée par les Acadiens), Morlaix.

Rue Longue (la rue des Acadiens, ancienne rue de Bourret), Morlaix.

Quand les 384 réfugiés acadiens partis le 26 mai et le 7 juin 1763 des ports anglais de Falmouth et Liverpool sont arrivés à Morlaix, sur la côte nord du Finistère, ils ne s’attendaient pas à être reçus aussi chaleureusement. Ils ont découvert une ville active, capitale d’une région dont l’économie de la pêche, de l’agriculture et de l’élevage était florissante, mais où on armait des navires corsaires en temps de guerre. En effet, depuis la fin du 17e siècle, à cause des guerres incessantes, la ville bretonne subissait le déclin continu du commerce des toiles de lin et avait renforcé la lucrative guerre de course contre les navires anglais. Sans être le principal port corsaire français, elle était néanmoins le centre de négoce des prises de corsaires en Manche Ouest. Très opportunément, le fort insulaire dit Château du Taureau protégeait, depuis le 16e siècle, l’embouchure de la rivière de Morlaix, à quinze kilomètres du port urbain bien abrité en fond d’estuaire. Aujourd’hui à Morlaix, Charles Cornic est le seul capitaine corsaire resté dans la mémoire de la ville, grâce à son buste en pierre qui trône fièrement sur le port. Par contre, les Acadiens n’ont laissé aucune trace visible de leur séjour à Morlaix. Et pourtant, à y regarder de plus près, des indices doivent nous alerter. Et si un autre célèbre corsaire de Morlaix en était à l’origine ?

château du taureau et île louet
Le château du Taureau en baie de Morlaix avec, au premier plan, l’île Louët (auteur Thesupermat, licence CC BY-SA 3.0)

Pouvait-on rêver meilleur accueil ? A leur arrivée, tout en continuant à percevoir la solde des réfugiés, les Acadiens ont été rapidement logés dans deux casernes temporairement vacantes où les lits avaient été conservés. La ville a d’ailleurs reçu les félicitations du ministre Choiseul pour cette généreuse initiative. Mieux encore, elle a pris en charge le loyer des casernes et offert l’instruction gratuite aux enfants acadiens. La population de Morlaix a accueilli avec enthousiasme ces réfugiés acadiens victimes des maudits « saozons » (anglais en breton). Nombre d’entre eux se sont ainsi intégrés peu à peu et ont fait souche dans la vie locale…

Les capitaines corsaires

porte et pont de bourret
La porte de Bourret, et son pont d’accès, permettant d’entrer dans la ville close, juste avant la démolition de la porte en 1854 (dessin d’Auguste Mayer, domaine public)

La grande majorité des Acadiens ont été placés rue de Bourret[1] (actuelle rue Longue), dans la paroisse de l’église Saint-Martin, nécessitant de gravir la colline de Saint-Martin depuis le pont de Bourret qui enjambait le Queffleuth. Aujourd’hui, le pont de Bourret a aussi disparu (après la porte de même nom) et l’église Saint-Martin est restée sur le territoire de la commune de Morlaix, en dehors de celui de la commune limitrophe de Saint-Martin-des-Champs. Mais en cette fin de 18e siècle, les Acadiens devaient encore traverser le pont et la porte de Bourret pour rejoindre la ville close. La plupart des hommes s’embarquaient comme marins sur les navires de commerce ou, en temps de guerre, sur les navires armés en corsaire, en suivant les traces de Charles Cornic[2]. C’était notamment le cas de Jean-Baptiste Hébert, capitaine corsaire…

Acadien réfugié à Morlaix à l’âge de 17 ans, Jean-Baptiste Hébert s’est illustré en Manche contre les Anglais, pendant la guerre d’indépendance américaine (1775-1783), comme capitaine du navire l’Epervier. Si ce corsaire acadien s’est distingué à Morlaix, un autre corsaire talentueux, Jean-Nicolas Anthon, né à Morlaix, doit concentrer toute notre attention. Il s’est illustré, pendant la même guerre, comme capitaine du Comte de Guichen, un navire servi par 70 hommes d’équipage, américains, irlandais, acadiens, portugais et français. Sa spécialité était de rançonner, avec un certain succès, les navires de commerce anglais. Pourquoi s’intéresser à lui ? Il s’est marié en janvier 1777 à Morlaix, à l’âge de 29 ans, avec une Acadienne, Elisabeth Terriot, âgée de 25 ou 27 ans selon les sources, en la paroisse de Saint-Martin. Et si les deux époux incarnent à merveille l’intégration réussie des Acadiens à Morlaix, c’est aussi parce que leur descendance a profondément marqué la vie de la cité…

Une descendance de notables

port et viaduc de morlaix
Le port de Morlaix, où se trouve le buste (en pierre) de Charles Cornic et, au pied du viaduc, la place Cornic (auteur NeoMeesje, licence CC BY-SA 4.0)

A n’en pas douter, la fille aînée du couple, Elisabeth, a contracté un beau mariage avec le capitaine marchand Laurent Homon de Kerdaniel, issu d’une riche famille de papetiers et de négociants. C’est de cette union qu’est née Marie Elisabeth, dont le mariage avec Simon Lefebvre, employé des Ponts et Chaussées, en 1839, a produit plusieurs personnages très en vue à Morlaix. Marie Elisabeth est notamment la mère de Ferdinand Lefebvre, un médecin très engagé et apprécié dans la vie politique locale, qui a laissé son nom à une rue de Morlaix, et grand-mère de l’avocat Charles Lefebvre, maire de Morlaix de 1908 à 1912. Tous ces notables ont connu le profond bouleversement du paysage urbain au 19e siècle…

Quel contraste saisissant ! L’ancêtre acadienne de la famille et son fringant corsaire de mari n’auraient pas reconnu leur ville. Afin de préparer l’arrivée du chemin de fer, le viaduc de Morlaix, inauguré en 1865, permettait désormais de franchir la vallée et d’accéder à la gare construite sur la colline de Saint-Martin. Ce n’est qu’en 1897 qu’ont été inaugurés la place Cornic, au pied du viaduc, et, à deux pas, le premier buste (en bronze) de l’illustre corsaire. Elle était déjà bien loin l’époque de la guerre de course, au 18e siècle, quand Morlaix était un véritable repaire de corsaires.

Image d’en-tête : Combat de corsaires anglais et français au 18e siècle (peinture de Samuel Scott, Royal Museums Greenwich, domaine public).

Jean-Marc Agator

Sources

Buti, Gilbert et Hrodej, Philippe (direction) ; Dictionnaire des corsaires et pirates ; CNRS Editions, Paris, 2013, p. 18-19, 355-356 (Anthon Jean-Nicolas, Hébert Jean-Baptiste).

Favreau, Patrick ; Le Morlaix Magazine (Morlaix autrefois) ; avril 2006 (pont de Bourret).

Fonteneau, Jean-Marie ; Les Acadiens, citoyens de l’Atlantique ; Editions Ouest-France, Rennes, 1996, p. 169-171 (Morlaix).

Nières, Claude ; Les Villes de Bretagne au XVIIIe siècle, Nouvelle édition (en ligne) ; Presses universitaires de Rennes, 2004.

Ville de Saint-Martin-des-Champs (limitrophe de Morlaix) : Quand la baie de Morlaix était un nid de corsaires (source : Joachim Darsel, historien) ; Quand la paroisse de Saint-Martin accueillait les réfugiés d’Acadie (source : Jean-Pierre Hervet, érudit local).

Ville de Morlaix : patrimoine culturel (le viaduc).


[1] Patrice Gallant, prêtre, Les exilés acadiens en France, La Société Historique Acadienne, Vingtième cahier, Juillet-Août-Septembre 1968, Moncton, p. 366.

[2] Charles Cornic (1731-1809), capitaine corsaire de la guerre de Sept Ans, a cessé son activité de course en 1763 (mais pas sa carrière de marin), après avoir capturé onze navires en six ans. Chevalier de Saint-Louis en 1773, il quitte le service actif en 1778 comme capitaine de vaisseau.

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