Lieux de mémoire acadiens :
Maison de l’Acadie, La Chaussée.
Plaque commémorative, église de La Chaussée.
Situé dans la partie nord du département de la Vienne, en Nouvelle-Aquitaine, le Loudunais, dont Loudun est la ville centre, est un territoire rural au riche patrimoine historique. Dominée par la Tour Carrée, qui témoigne de son passé médiéval, Loudun bénéficie maintenant du rayonnement culturel du tout nouvel Historial du Poitou au château de Monts-sur-Guesnes, dans le Loudunais. Cette plongée au cœur de l’Histoire du Poitou n’allait pas forcément de soi sur cette terre. Avant la Révolution française, le Loudunais ne faisait pas partie du Poitou. Aux confins de l’Anjou et de la Touraine, il dépendait tout à la fois du Saumurois (siège du gouverneur), de la généralité de Tours (siège de l’intendant) et du diocèse de Poitiers. Pour couronner le tout, le Loudunais ne relevait pas de la sénéchaussée de Saumur (siège du tribunal), mais constituait une sénéchaussée distincte. Comprenne qui pourra. En créant les départements français, l’Assemblée constituante a mis fin, dans le Haut-Poitou, à cet enchevêtrement administratif. Revenons au printemps 1774, en Poitou, quand le plus gros contingent de réfugiés acadiens a débarqué sur les quais de la Vienne, à Châtellerault, afin de rejoindre la colonie agricole du marquis de Pérusse des Cars. En remontant le cours de la Loire, depuis Nantes, les Acadiens avaient traversé Saumur, avant de remonter le cours de la Vienne. Le Châtelleraudais était devenu, en Poitou, leur terre d’accueil. Savaient-ils qu’à proximité de Saumur, au sud de la Loire, se trouvait un pays cher aux deux grands artisans de la colonisation initiale de l’Acadie ? Certains Acadiens avaient-ils des ancêtres originaires du Loudunais, comme ce territoire le revendique aujourd’hui ? Remontons encore dans le temps…
Les premiers colons de l’Acadie
Le premier des deux grands artisans de la colonisation en Acadie est Isaac de Razilly, né au château d’Oiseaumelle (aujourd’hui Les Eaux Mêles), à Roiffé, dans le Nord Loudunais. En 1632, nommé lieutenant général du roi par la compagnie de la Nouvelle-France (ou des Cent-Associés), il est chargé de reprendre possession de Port-Royal[1] et de faire de l’Acadie une colonie française. Le second est son lieutenant et cousin, Charles de Menou d’Aulnay, né dans le Sud Touraine, qui doit son deuxième nom à la seigneurie d’Aulnay, dans le Sud Loudunais, dont il a hérité de sa mère. Sur ordre du cardinal de Richelieu, leur expédition part d’Auray, dans le Morbihan, au début du mois de juillet 1632. Qu’on ne s’y trompe pas. Si cet événement est remarquable, c’est aussi parce qu’il est l’un des premiers rendus publics par voie de presse…
Le 16 juillet 1632, paraît en effet une dépêche de la Gazette, le tout premier journal imprimé en France, annonçant à Auray le départ de l’expédition de Razilly. Le créateur du journal est un médecin ordinaire du roi, né à Loudun, Théophraste Renaudot, qui bénéficie de la protection de Richelieu et met sa plume au service du pouvoir royal. Il est ainsi admis que la création officielle de son journal, l’année précédente, a marqué la naissance de la presse périodique française. Que dit cette dépêche[2] ? Pour l’essentiel, elle annonce que trois vaisseaux sont partis au commencement du mois de juillet, sous les ordres du Commandeur de Razilly, avec « trois cent hommes d’élite » à bord. Parmi eux se trouvaient des soldats, des marins et sans doute aussi des artisans et des colons. Comme le stipule la dépêche, l’expédition comportait trois Capucins, venus évangéliser les populations, et bon nombre de gentilhommes. Y avait-il également des femmes et des enfants, comme l’ont suggéré plusieurs auteurs. Rien ne l’indique ici… Venons-en maintenant au lieutenant et cousin de Razilly…
En 1638, Charles de Menou d’Aulnay succède à Isaac de Razilly, mort subitement en 1635, en prenant le titre de lieutenant général, malgré sa forte rivalité avec Charles de Saint-Etienne de La Tour, également lieutenant du roi en Acadie. Pendant trois ans, Razilly avait fait venir régulièrement des familles de colons en Acadie. Pour sa part, son successeur, Aulnay, fait établir, jusqu’à sa mort accidentelle en 1650, une vingtaine de familles en Acadie, ce qui paraît considérable puisqu’il l’a fait par ses propres moyens, sans assistance officielle. C’est grâce à ces deux grands colonisateurs que l’on doit le peuplement initial de l’Acadie française.
On peut légitimement se demander si certaines familles pionnières de l’Acadie venaient des seigneuries du Sud Loudunais, comme le suggère la plaque commémorative apposée à l’intérieur de l’église de La Chaussée. Elle rappelle le souvenir du départ vers l’Acadie de familles loudunaises guidées par les deux grands colonisateurs. C’est en tout cas la vocation de la Maison de l’Acadie, à La Chaussée, de faire revivre l’histoire de ces familles loudunaises. Pourtant, comme le précise l’historien Gregory Kennedy, « Les origines des Acadiens restent controversées et il est probable que cette question ne sera jamais résolue à la satisfaction de tous. Cependant, le Loudunais est bel et bien le pays d’origine d’au minimum quelques colons… ». Rêvons un peu. Dans la flottille de la Loire qui traversait Saumur, certains réfugiés acadiens ont pu ressentir une vive émotion. Peut-être ont-ils reconnu la terre de leurs ancêtres.
Image d’en-tête : Bords de Loire (peinture de Camille Flers, domaine public).
Jean-Marc Agator