port de lorient

Lorient Un refuge pour les Miquelonnais

Lieux de mémoire acadiens :

Rond-Point de l’Acadie, Lorient.

Port-Louis (l’un des ports d’attache des Acadiens).

Des Acadiens à Lorient ? Comment ne pas penser au fameux Festival interceltique de Lorient dont l’Acadie du Canada atlantique était l’invitée d’honneur en 2004, pour sa première participation au festival, ainsi qu’2012. L’Acadie une nation celte ? Même si certains Acadiens ont clairement des origines bretonnes, cette invitation visait surtout à honorer l’héritage celtique des Canadiens d’origine écossaise ou irlandaise, particulièrement ceux du Cap-Breton, en Nouvelle-Ecosse. C’est à cette occasion qu’a été inauguré, en 2004, le rond-point de l’Acadie, au croisement du boulevard Léon Blum et de la rue Saint-Marcel, sur la route de Larmor-Plage. Pourquoi s’intéresser à cette charmante station balnéaire ? Certes, depuis Larmor-Plage, la vue est splendide sur Port-Louis et sa citadelle, à l’entrée de la rade de Lorient. En réalité, ce n’est pas à l’occasion du Festival interceltique que les premiers Acadiens sont arrivés à Lorient, mais il y a plus de deux siècles, poussés vers Port-Louis par les vents mauvais de la déportation. Voici l’histoire oubliée des Acadiens de Lorient…

port-louis et sa citadelle
Vue sur Port-Louis et sa citadelle depuis Larmor-Plage (auteur Musicaline, licence CC BY-SA 3.0)

Dans le dernier tiers du 18e siècle, en 1767, 1778 et 1795, le port de Lorient a connu les trois vagues de réfugiés acadiens provenant des îles Saint-Pierre et Miquelon. Contraints et forcés d’abandonner leur terre et leurs biens, ces Acadiens étaient victimes de l’interminable conflit entre la Grande-Bretagne et la France pour le contrôle des pêcheries de l’archipel. Combien d’entre eux sont entrés dans la rade de Lorient ? Certains d’entre eux sont-ils restés définitivement dans la région ? Pour tenter de répondre à ces questions, un bref récit de ces migrations s’impose…

Exilés par le roi de France

port de saint-pierre
Le port de Saint-Pierre, si convoité au 18e siècle (auteur miquelon, licence CC BY 2.0)

En 1767, les Français ont repris possession des îles Saint-Pierre et Miquelon depuis quatre ans. Le gouverneur de la nouvelle colonie, François-Gabriel d’Angeac, a fait venir d’anciens habitants de Louisbourg (Île Royale) exilés en 1758 en France, dont certains ont joué un rôle décisif dans l’établissement des pêcheries sédentaires de Saint-Pierre. Dans un archipel aux ressources limitées, il a dû aussi gérer les arrivées intempestives de nombreux réfugiés acadiens, anciens colons de la Nouvelle-Ecosse. Ceux-ci forment déjà plus des deux tiers de la population permanente de l’archipel, estimée à 1250 personnes, d’autant qu’ils sont peu impliqués dans la pêche et préfèrent vivre à Miquelon, une île au sol pourtant pauvre.

Malheureusement, cette année-là, le ministre Choiseul, ayant toujours voulu restreindre le peuplement de l’archipel aux activités en rapport avec la pêche, décide de renvoyer tous les Acadiens en France. D’après Michel Poirier, sur ordre du roi, 586 personnes sont exilées en France, la plupart miquelonnaises, à destination des ports de Saint-Malo, Lorient, Brest, Rochefort et Nantes. Mais le ministre fait volte-face l’année suivante et permet leur retour à Miquelon. On sait que parmi les 322 Acadiens revenus dans l’archipel entre mai et juillet 1768, 66 provenaient de Port-Louis (Lorient) via La Rochelle. Selon Emile Lauvrière, les Acadiens déjà réfugiés à Port-Louis avaient été autorisés à rejoindre leurs familles dans les autres provinces. Pendant dix ans, avec courage et ingéniosité, les Miquelonnais vont se reconstruire une vie meilleure en tant que pêcheurs, laboureurs, journaliers, jusqu’à la guerre d’indépendance américaine…

Déportés par les Britanniques

C’est alors que le sort s’acharne une deuxième fois sur les Acadiens. En septembre 1778, après que la France ait pris position officiellement en faveur des insurgés américains, les Britanniques s’emparent de l’archipel sans défense et déportent ses 1400 habitants vers Saint-Malo, La Rochelle, Nantes, Lorient et Brest. Le bilan est effroyable, car tout est détruit, maisons, magasins, étables, installations de pêche. C’est à Lorient que débarquent les premiers habitants expulsés de l’archipel, avec le nouveau gouverneur, Charles-Gabriel-Sébastien de Sivert, baron de l’Espérance.

Toutefois, cinq ans plus tard, la France reprend possession de sa colonie, par le traité de Versailles, et autorise le retour de ses colons, aux frais du roi, à condition qu’ils se rendent utiles. Près de 1250 d’entre eux se déclarent volontaires, dont 26 à Lorient, pour la plupart des Acadiens ou d’anciens habitants de Louisbourg. Combien, à Lorient, n’ont pas regagné l’archipel ? D’après Lauvrière, en 1788, huit familles y habitaient encore, où elles recevaient des secours du roi.

monument acadien de miquelon
Monument en mémoire des émigrations forcées (Grand Dérangement) des Acadiens à Miquelon (auteur Murzabov, licence CC BY-SA 4.0)

Par malheur, l’horizon s’assombrit une troisième fois. En mai 1793, après leur entrée en guerre contre la France révolutionnaire, les Britanniques se rendent maître de l’archipel. Cette fois-ci, ils ne détruisent pas les habitations et installations, mais retiennent sur place les 1500 habitants, dans des conditions très dures. En septembre 1794, face à leur entêtement de rester fidèles à la France, ils décident de les envoyer en détention à Halifax (Nouvelle-Ecosse). A partir de 1795, la grande majorité des prisonniers sont rapatriés dans les ports français, dont Lorient, depuis les colonies américaines, par l’entremise des consuls français. En 1815, la rétrocession définitive de l’archipel à la France permet, l’année suivante, le retour des colons.

Combien de Miquelonnais sont restés à Lorient ? Selon Lauvrière, seules sept familles acadiennes[1] étaient encore recensées en 1822 à Port-Louis et Lorient, comportant chacune cinq à sept enfants. Elles se sont sans doute intégrées et ont fait souche dans la société lorientaise. Aujourd’hui, les descendants de ces courageux pionniers ont-ils conscience de l’incroyable résilience de leurs ancêtres sans cesse ballottés d’un bord à l’autre de l’océan ? Le monde a bien changé. De nos jours, c’est l’océan lui-même qui est en danger. On bat ainsi des records de vitesse, à l’occasion de la Route St-Pierre Lorient – Défi Pure Ocean, pour sensibiliser le grand public à sa protection.

Image d’en-tête : Vue du port de Lorient avant 1825 (peinture d’Ambroise Louis Garneray, domaine public).

Jean-Marc Agator

Sources

Lauvrière, Emile ; La tragédie d’un peuple, tome 2 ; Editions Bossard, Paris, 1922, p. 282-283 (Morbihan).

Poirier, Michel ; Les Acadiens aux îles Saint-Pierre et Miquelon, 1758-1828 ; Les Editions d’Acadie, Moncton, 1984.


[1] Familles Cormier (capitaine), Richard (chirurgien), Vigneau (capitaine), Chiasson et LeBlanc à Port-Louis ; familles Groult et Sire à Lorient.

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