bassin du roi au havre

Le Havre Le réconfort après les bombes au Havre de Grâce

Lieu de mémoire acadien :

Eglise Notre-Dame (église des Acadiens), Le Havre.

Nous sommes au matin du 3 juillet 1759, au Havre de Grâce (aujourd’hui Le Havre), en pleine guerre de Sept Ans. Une flotte britannique, venue mouiller en rade, s’apprête à bombarder la ville dont le lieutenant du roi et le maire échevin organisent aussitôt la défense et la protection. Le lendemain matin, le bombardement commence. Très vite, les défenseurs de la ville sont surpris. Ils ne s’attendaient pas à une attaque en règle du cœur historique de la ville, le quartier Notre-Dame. Pire encore, l’artillerie française s’avère étonnamment mal préparée et peu efficace. Des dégâts importants et des victimes sont à déplorer, tandis que les habitants encore présents s’empressent de quitter la ville ou de rejoindre le quartier Saint-François voisin. Certains habitants ont des raisons particulières de craindre les Britanniques. Cinq mois plus tôt, environ 70 réfugiés acadiens avaient débarqué au Havre de Grâce avec leur prêtre missionnaire. Ils provenaient d’Halifax où ils étaient en détention après leur expulsion de la région du Cap de Sable, en Nouvelle-Ecosse. Arrivés dans le plus profond dénuement, ils avaient été secourus par la municipalité qui leur avait procuré le logement et la subsistance. L’ordre avait été donné de leur verser la solde des réfugiés de six sous par jour. De même, nombre de bourgeois s’étaient employés à leur porter secours. Mais maintenant, leur ville d’accueil est écrasée par les bombes. Leur histoire tragique n’en finira donc jamais ? Que veulent ces maudits Britanniques ?

bombardement du havre en 1759
Vue légendée du bombardement du Havre, début juillet 1759. On distingue à gauche la porte d’Ingouville, aujourd’hui disparue, et derrière, prise pour cible, la tour de l’église Notre-Dame, qui sert de point de repère aux artilleurs britanniques (dessin sur site de Joseph-Abel Couture, Bibliothèque nationale de France, domaine public)

Selon le maire échevin, François Millot, les Britanniques ont jeté environ 800 bombes et pots à feu, pendant 52 heures, sur 93 maisons, dans les rues, le port et sur le Perrey[1]. L’intention des Britanniques semblait clairement de détruire la ville. La réalité est plus nuancée. Parfaitement informés que le roi de France préparait depuis plusieurs mois un débarquement en Grande-Bretagne, ils voulaient éliminer les bateaux plats construits et accumulés à cet effet sur le Perrey. Peut-être espéraient-ils aussi, en visant la ville, détruire les magasins fournissant l’armement des bateaux. Les habitants n’ont guère apprécié la subtile nuance. Après avoir établi un blocus naval, les Britanniques ont finalement renoncé, face à une résistance française acharnée, à bombarder de nouveau la ville. Le 20 novembre, la défaite française à la bataille navale des Cardinaux, en baie de Quiberon, condamnait définitivement le projet d’invasion de la Grande-Bretagne. L’ironie du sort est que la flottille de bateaux plats construits au Perrey, curieusement épargnée par les bombes, était désormais inutile. Quant aux réfugiés acadiens, fervents catholiques, ils avaient subi une nouvelle épreuve cruelle…

Notre-Dame endommagée

cathédrale notre-dame du havre
Eglise Notre-Dame, aujourd’hui cathédrale, datant des 16e et 17e siècles, bombardée en 1759 et surtout en 1944, entièrement restaurée en 1980 (auteur Alexandre Prévot, licence CC BY-SA 2.0)

Lors du bombardement des 4 et 5 juillet, deux bombes avaient transpercé les voutes de l’église Notre-Dame en les endommageant sérieusement. Par bonheur, François Millot, également marguillier[2] et trésorier comptable de la paroisse, avait rapidement procédé à leur réparation. Entièrement dévoué à ses concitoyens, qui le tenaient en haute estime, il ne pouvait que rassurer les réfugiés acadiens, pratiquement tous fidèles de la paroisse Notre-Dame[3]. Ceux-ci se sentaient d’autant plus réconfortés que le curé de Notre-Dame, le riche Etienne Carrion de l’Eperonnière, avait su les accueillir avec bienveillance et leur prodiguer des secours généreux[4]. Arrivés souvent dans un état de santé déplorable, parfois en proie à un deuil douloureux, ils avaient un besoin urgent de réconfort spirituel. Leur prêtre missionnaire, l’abbé Jean-Baptiste de Gay Desenclaves, né à Limoges, les avait admirablement guidés et soutenus depuis leur expulsion de la région du Cap de Sable. Cependant, malade et épuisé par ses dernières années de mission, il ne songeait qu’à se retirer sur sa terre natale…

La vie de l’abbé Desenclaves comme missionnaire en Acadie est détaillée dans le dictionnaire biographique du Canada. On retiendra seulement ici qu’après son arrivée au Havre de Grâce, il avait très vite quitté la ville et probablement rejoint sa famille à Limoges avant la fin de 1759. Sans doute apaisé par l’accueil généreux des bourgeois du Havre de Grâce et du curé de Notre-Dame, il savait ses chers Acadiens en de bonnes mains. Sans être toujours un havre de paix, leur ville d’accueil méritait bien son nom, tant elle avait su leur réserver de vrais moments de grâce[5].

Image d’en-tête : Le bassin du roi, en 1776, qui séparait le quartier Notre-Dame, à l’ouest, du quartier Saint-François, à l’est (peinture de Nicolas Ozanne, domaine public).

Jean-Marc Agator

Sources

Chabannes, Hervé ; Les passeurs de la mémoire Havraise : histoire, mémoire et identité au havre du XVIe au XIXe siècle ; Histoire, Université du Havre, 2013, p. 194-214.

Johnson, Micheline D. ; Jean-Baptiste de Gay Desenclaves ; Dictionnaire biographique du Canada, Université Laval/University of Toronto, 2003, consulté le 22 décembre 2022.

Millot, François (négociant, échevin, marguillier) ; Mémoire d’échevinage et détails du bombardement du Havre en 1759 ; Marguillage de Notre-Dame commencé en 1756 ; Société de l’histoire de Normandie, Rouen, 1891.

Ville du Havre, Archives municipales (repères historiques).


[1] Dépôts de galets en bord de mer, où se trouvaient les chantiers navals.

[2] Membre laïc du conseil de fabrique, chargé d’administrer les biens temporels de la paroisse.

[3] Patrice Gallant, prêtre, « Les exilés acadiens en France », La Société Historique Acadienne, Juillet-Août-Septembre 1968, Moncton, p. 367 (P. Gallant a relevé, sur la période 1759-1769, 87 actes d’état civil acadiens dans les registres de Notre-Dame, 11 dans ceux de Saint-François).

[4] Jean-Baptiste Lecomte, vicaire de Saint-François du Havre, « Messire de Clieu, les églises et le clergé de la ville du Havre de Grâce (1516-1851) », Dieppe, 1851, p. 154-155.

[5] Le 8 octobre 1517, le roi François 1er signait la charte de fondation de la ville du Havre, au lieu-dit « de Grâce ». Le Havre de Grâce n’est devenu Le Havre qu’en 1795.

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