entrée du vieux port

La Rochelle Les secrets de l’ancien cimetière Saint-Jean

Lieu de mémoire canadien :

Place du maréchal Foch (ancien cimetière Saint-Jean), La Rochelle.

En 2012, une exposition présentée à La Coursive, à La Rochelle, a révélé les secrets des fouilles archéologiques[1] réalisées en 2006 à l’occasion des travaux du théâtre Verdière. C’est ainsi qu’à deux pas de la rue Saint-Jean-du-Pérot, tout près des trois tours du vieux port, la place du maréchal Foch a dévoilé un pan important de son histoire. De nombreuses sépultures ont été mises au jour sous son sol, là où s’étendait précisément l’ancien cimetière de l’église paroissiale Saint-Jean-du-Pérot aujourd’hui détruite. Utilisé depuis le 12e siècle, l’ancien cimetière paroissial a été abandonné pendant la Révolution, en 1794, après qu’un cimetière unique ait été créé pour toute la ville (actuel cimetière municipal de Saint-Eloi). A cette date, La Rochelle accueillait encore quelque 300 réfugiés chassés par les Britanniques des possessions françaises en Amérique du Nord, domiciliés en majorité dans l’ancienne paroisse Saint-Jean-du-Pérot. Nul doute que certains de leurs proches avaient été inhumés dans le cimetière paroissial. Et même si ces sépultures restent encore largement inconnues, le cimetière se révèle déjà un surprenant lieu de mémoire canadien. Voici pourquoi…

rue saint-jean du pérot
La rue Saint-Jean-du-Pérot, en 1849, avec, en arrière-plan, la tour de la Lanterne qui servait de phare, en amont du vieux port (auteur Adolphe Pierre Varin, domaine public)

L’avocat Claudy Valin a identifié ces 300 migrants qui demandaient à bénéficier des secours accordés aux réfugiés acadiens et canadiens lors de la séance de l’assemblée constituante du 21 février 1791. Il s’agissait plus précisément des réfugiés de l’Acadie, de l’Île Royale, du Canada et des îles Saint-Pierre et Miquelon arrivés à La Rochelle entre 1755 et 1778. A la fin de l’Ancien Régime, la « solde des Acadiens et Canadiens » versée à nombre d’entre eux avait été réduite voire supprimée, ce qui les avait laissés dans un profond dénuement. Seule une minorité de réfugiés étaient déjà titulaires d’une pension annuelle octroyée aux officiers civils et militaires et à leur famille, en récompense de leur loyauté envers le roi de France.

Parmi les pensionnés les mieux lotis, Thérèse Achille de Saint-Vincent, originaire de Québec, appartenait à une grande famille de la noblesse canadienne, la famille Saint-Vincent de Narcy. Alors âgée de 67 ans et résidant à La Rochelle, Thérèse Achille figurait dans l’état nominatif annexé au décret du 21 février 1791 voté par l’Assemblée constituante[2]. Elle pouvait donc continuer à percevoir sa pension annuelle, comme par le passé, en tant que fille d’un capitaine des troupes du Canada. L’histoire de son père, Henri Albert de Saint-Vincent, baron de Narcy, vaut indéniablement le détour.

Un officier au grand cœur

Né en 1698 à Beaumont-sur-Vesle, en Champagne, Henry Albert de Saint-Vincent, fils aîné de Pierre de Saint-Vincent, baron de Narcy, chevalier de Saint-Louis, est arrivé avec ses parents en 1706 au Canada. Nommé enseigne en pied des troupes de la Marine en 1733, lieutenant en 1742 et capitaine en 1749, il a été fait chevalier de Saint-Louis en 1754[3]. Il s’est marié en 1719, à Québec, avec Marie Madeleine, fille de l’ingénieur du roi Jacques Levasseur de Néré, dont il a eu quatre enfants, tous nés à Québec. En fondant une famille au Canada, il était devenu un officier de la noblesse canadienne. Comment pouvait-on imaginer qu’il soit mêlé à une aventure cocasse de nature à remettre en question sa moralité ? En voici le récit…

dames de québec
Dames de Québec aux fêtes de la Nouvelle-France (auteur Les Fêtes de la Nouvelle-France, licence CC BY-SA 4.0)

Nous sommes en 1734, à Québec. Pierre André de Leigne, lieutenant général civil et criminel de Québec, décide de contraindre sa jolie fille cadette de 25 ans, Louise Catherine, à la conduite légère, à embarquer pour la France, avec l’appui des autorités de la Nouvelle-France. De Leigne pense en effet que loin de Québec, sa fille oubliera les jeunes officiers sans fortune qui la courtisent. La première nuit, alors qu’elle vient de s’installer dans le navire encore en rade à Québec, la belle se déguise en homme et réussit à s’enfuir, avec la complicité de deux de ses soupirants. L’un d’entre eux est précisément Henry Albert de Saint-Vincent, alors âgé de 36 ans, dont on sait qu’il est marié et père de quatre enfants. Le lendemain, très embarrassée de sa propre conduite, la demoiselle change finalement d’avis et revient volontairement sur le navire.

L’année suivante, elle choisit de rentrer inopinément à Québec et de se réfugier chez son beau-frère, le sieur Lanoullier de Boisclerc, après le refus de son père de la recevoir. Par la suite, les autorités locales vont constater que sa conduite est devenue convenable et les relations avec son père apaisées. Quant aux deux jeunes officiers complices de son évasion de l’année précédente, ils avaient été mis aux arrêts[4]. Le sieur de Saint-Vincent, très épris de la belle demoiselle, avait été averti que s’il lui causait encore du tort, il serait irrémédiablement mis en prison et pour longtemps. On ne plaisantait pas avec la réputation d’une jeune fille de bonne famille.

Nul ne sait si Marie Madeleine de Saint-Vincent, décédée en 1742, à l’âge de 48 ans, avait toléré les frasques de son époux volage. Mais très vite, les dures réalités de la guerre de Sept Ans se sont imposées. Henry Albert de Saint-Vincent, capitaine de la Marine, est finalement envoyé en France en 1761, après la capitulation de Montréal. Sa fille Thérèse Achille était sans doute du même voyage. Selon son acte de décès[5], Henry Albert est décédé le 10 septembre 1762, à l’âge de 64 ans, et a été inhumé au cimetière de la paroisse Saint-Jean-du-Pérot. Il est le seul officier de la Marine au Canada, en Nouvelle-France, décédé à la Rochelle, dont la dépouille repose désormais en paix quelque part sous l’actuelle place du maréchal Foch.

Image d’en-tête : Entrée du vieux port de La Rochelle (peinture de Jean-Baptiste Camille Corot, couleur sur bois, 1851, domaine public).

Jean-Marc Agator

Sources

Drolet, Yves ; Dictionnaire généalogique de la noblesse de la Nouvelle-France, 3ème édition ; Editions de la Sarracénie, Montréal, 2019, p. 713, 867.

Paquin, Michel ; Louise-Catherine André de Leigne ; Dictionnaire biographique du Canada, Université Laval/University of Toronto, 1974, consulté le 26 août 2022.

Valin, Claudy ; Les réfugiés de l’Acadie et du Canada à La Rochelle ; Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, CTHS, Paris, 2012, p.249-260.


[1] Fouilles archéologiques du « Théâtre Verdière », en 2006, dirigées par Jean-Paul Nibodeau (Institut national de recherche en archéologie préventive), à La Rochelle.

[2] Louis-Marie de La Révellière-Lépeaux, Décret sur les secours accordés aux Acadiens et aux Canadiens, lors de la séance du 21 février 1791, Archives Parlementaires de 1787 à 1860, Paris, 1886.

[3] Rapport de l’archiviste de la province de Québec, 1921, p. 213.

[4] Pierre-Georges Roy, L’honorable René Ovide Hertel de Rouville, Bulletin des recherches historiques, vol. XII, n°5, Lévis, mai 1906, p. 129-141.

[5] Archives de la Charente Maritime, La Rochelle, Paroisse Saint-Jean-du-Pérot, 1750-1787, p.93/275 (acte de décès).

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