port de boulogne sur mer

Boulogne-sur-Mer Un vivifiant retour à la mer

Lieu de mémoire acadien :

Eglise Saint-Nicolas de la Basse-Ville, Boulogne-sur-Mer.

Premier port de pêche français et centre leader en Europe de la transformation des produits de la mer, Boulogne-sur-Mer (Boulogne) est aussi, depuis 1986, labellisée Ville d’Art et d’Histoire. Par sa situation géographique privilégiée, face aux côtes anglaises, Boulogne a longtemps tiré avantage des forts vents d’ouest et de sud-ouest qui facilitaient la traversée vers Douvres. Au 18e siècle, sa principale activité commerciale avec l’Angleterre était la contrebande. La plupart des navires entrés dans le port étaient des contrebandiers anglais (les smogglers) qui venaient chercher des eaux-de-vie ou du thé afin de les introduire en fraude sur les côtes anglaises. Pendant les guerres entre la France et la Grande-Bretagne, la pêche et le commerce étaient entravés, mais les Boulonnais étaient autorisés à armer des navires corsaires pour ramener au port les prises anglaises capturées. C’est dans ce contexte tourmenté que le 26 décembre 1758, en pleine guerre de Sept Ans, les Boulonnais observent, stupéfaits, l’arrivée inopinée d’un navire anglais dont les passagers, dans leur malheur, ont eu beaucoup de chance…

vue générale de boulogne
Vue générale de Boulogne, depuis la commune voisine de Saint-Martin-Boulogne (auteur Bateloupreaut, licence CC BY-SA 4.0)

L’incroyable odyssée transatlantique

Ces passagers arrivés à Boulogne sont 179 réfugiés acadiens, dont la chance n’est cependant que très relative. Expulsés de l’île Saint-Jean un mois plus tôt, ils avaient été entassés dans l’entrepont du navire et traités de façon déplorable par l’équipage. Ils avaient réchappé d’une violente tempête qui les avait détournés de Saint-Malo, leur destination initiale. Après une courte escale à Portsmouth, le capitaine anglais avait reçu l’ordre de les débarquer au premier port de France. Compte tenu des forts vents d’ouest et de la mauvaise houle en Manche, il avait choisi de faire route vent arrière vers Boulogne. Mais son bilan humain est effroyable. Les Acadiens débarquent à Boulogne dans la plus profonde misère et un état de santé précaire. La municipalité prend alors des dispositions d’urgence pour leur procurer le logement, le chauffage et la subsistance, malgré le peu de ressources de cette petite ville de 8000 habitants.

plan de boulogne sur mer en 1734
Plan de la Haute et Basse Ville de Boulogne-sur-Mer en 1734, avec, en bas, la communauté des Capucins dont le couvent a logé provisoirement les Acadiens (source Alain Lottin, Histoire de Boulogne-sur-Mer, ville d’art et d’histoire)

Les réfugiés acadiens ont vécu six ans à Boulogne, presque tous dans le quartier populaire de la paroisse Saint-Nicolas de la Basse Ville, où se concentrent les activités du commerce, de l’artisanat et de la pêche[1]. Ils n’en ont cependant guère profité puisqu’ils devaient se contenter des petits travaux commandés par la municipalité. Que faire des Acadiens ? Le gouvernement leur accordait, comme dans les autres ports français, une assistance quotidienne de six sous par personne. Dès la signature du traité de Paris, en février 1763, le ministre Choiseul songeait déjà à les renvoyer en Amérique pour peupler les colonies restées françaises, en priorité la Guyane.

Finalement, la majorité d’entre eux sont partis en novembre 1764 pour rejoindre la nouvelle colonie de Guyane. Les autres n’ont pour la plupart quitté Boulogne qu’en mai 1766 pour se rendre à Saint-Malo. En Guyane, une fois de plus, les Acadiens de Boulogne l’ont échappé belle. Après avoir évité les privations sévères et les épidémies pendant leur court séjour[2], ils étaient trop heureux de figurer parmi les colons rapatriés en métropole, à l’Île d’Aix puis à Rochefort.

Désormais leur périple devait se poursuivre en métropole et, pour beaucoup d’entre eux, à Nantes, dans l’attente d’un départ pour la Louisiane. Pourtant, l’histoire acadienne de Boulogne était loin d’être terminée. Elle a même repris de la vigueur. Pour un petit noyau d’Acadiens, l’avenir était bien en métropole, mais pas dans une colonie agricole. Bien au contraire, il s’agissait d’un vivifiant retour à la mer…

Le retour à Boulogne

église saint-nicolas de la basse ville
Eglise Saint-Nicolas, dans la Basse Ville, qui date du 12e siècle (auteur Marmontel, licence CC BY 2.0)

Selon un état nominatif établi en juin 1792, quatre chefs de famille acadiens, soit 15 personnes au total, résidaient à Boulogne, du moins ceux qui prétendaient aux secours accordés aux Acadiens et Canadiens par l’Assemblée constituante. Expulsés de l’île Saint-Jean et arrivés ensemble à Boulogne, fin 1758, ces quatre marins de profession sont des Acadiens de souche, natifs du bassin des Mines, en Nouvelle-Ecosse, à la différence de leurs épouses d’origine boulonnaise. Seuls deux d’entre eux, Gervais Gautreau et son ami Firmin Aucoin, tous deux passés par la Guyane, l’Île d’Aix et Rochefort, ont laissé une descendance. Le parcours de l’aîné des deux, Gervais Gautreau, est particulièrement éclairant…

Au début de 1776, Gervais Gautreau venait de quitter, déçu, la colonie agricole du marquis de Pérusse des Cars, au sud de Châtellerault. Non décidément, il ne se sentait pas l’âme d’un agriculteur. Il s’était alors rendu très vite à Lorient où il avait fait valoir son aptitude aux métiers de la mer en s’enrôlant dans l’équipage d’un navire. La même année, il s’était finalement décidé à retourner à Boulogne, où il avait été autrefois bien accueilli et ses deux parents étaient enterrés. Il connaissait bien le port où il avait d’ailleurs très vite trouvé un emploi de marin. En 1780, veuf de sa première épouse, il s’était remarié à une jeune boulonnaise, en choisissant de s’intégrer dans la société locale. Cinq enfants étaient nés de cette union. L’aîné, Charles, deviendra capitaine corsaire sous Napoléon. Mais ceci est une autre histoire…

Image d’en-tête : Port de Boulogne-sur-Mer (aquarelle de François Louis Thomas Francia, centre d’art britannique de Yale, domaine public).

Jean-Marc Agator

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