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Introduction historique

Acadiens et Canadiens réfugiés en France

A partir de l’automne 1758, de nombreux Acadiens et Canadiens ont été déportés ou se sont exilés en France des suites de la guerre de Sept Ans, qui s’est tristement achevée en 1763 par la perte de la Nouvelle-France. A leur sujet, en France métropolitaine, les traces du passé des régions de la moitié ouest et des côtes de la Manche révèlent autant de lieux de mémoire étonnants. Certains sont déjà mis en lumière par des objets ou monuments, comme à Belle-Île-en-Mer, Châtellerault ou Nantes, où la mémoire acadienne est bien gardée. Mais beaucoup restent encore largement ignorés et à concevoir. C’est l’ambition de ce site de les faire découvrir et surtout de faire vivre leur histoire. Essayons d’abord de mieux connaître ces réfugiés de la Nouvelle-France. Qui étaient-ils et d’où venaient-ils ? Commençons par un court rappel historique…

La fin de la Nouvelle-France

La Nouvelle-France désignait les colonies françaises d’Amérique septentrionale, principalement le Canada (aujourd’hui le Québec), la Louisiane et l’Acadie. Depuis la signature du traité d’Utrecht, en 1713, l’Acadie péninsulaire, rebaptisée Nouvelle-Ecosse, était désormais britannique, alors que l’Île Royale, de même que l’Île Saint-Jean[1] qui lui était rattachée, étaient restées françaises. Depuis la déportation massive des Acadiens vers les colonies anglo-américaines, en 1755 et 1756, une partie d’entre eux avaient pourtant réussi à se réfugier à Québec et dans l’Île Saint-Jean encore sous souveraineté française. L’exode des réfugiés vers la France a alors véritablement commencé quand les Britanniques ont pris possession de la forteresse de Louisbourg, capitale de l’Île Royale, fin juillet 1758, puis de l’Île Saint-Jean, quatre semaines plus tard.

capitulation de montréal
Capitulation de Montréal, en septembre 1760 (source Musée Virtuel du Canada, image dans le domaine public)

L’exode s’est poursuivi après la capitulation de Québec, en septembre 1759, puis celle de Montréal, un an plus tard. En février 1763, la signature du traité de Paris mettait fin à la présence française en Amérique du nord. La France avait pu conserver le petit archipel de Saint-Pierre et Miquelon et ses droits de pêche à Terre-Neuve. Elle avait aussi préservé ses principales possessions en Amérique centrale, c’est-à-dire en Guyane et aux Antilles (Saint-Domingue, Guadeloupe, Martinique, Sainte-Lucie). Malheureusement, l’Acadie et le Canada étaient définitivement perdus, n’en déplaise à Voltaire qui parlait sans regret, à propos du Canada, « d’arpents de neige » et de « déserts glacés ».

Les réfugiés de la Nouvelle-France

Revenons maintenant à l’automne 1758. Après la perte des Îles Royale et Saint-Jean, les officiers et soldats ont été envoyés comme prisonniers de guerre en Angleterre. Les habitants civils de l’Île Royale et ceux, en grande majorité acadiens, de l’Île Saint-Jean ont été embarqués de force dans des navires à destination des ports français de l’Atlantique et de la Manche, où ils sont arrivés entre septembre 1758 et mars 1759. Les habitants de l’Île Royale qui s’étaient exilés volontairement avaient pu toutefois échapper à cette déshonorante expulsion. Pendant la traversée, tous ces réfugiés, évalués à plus de 5000 au départ de Louisbourg, ont voyagé dans des conditions souvent épouvantables, si bien que nombre d’entre eux ont péri à la suite d’un naufrage ou de maladie. Les rescapés de l’Île Royale ont été débarqués à Rochefort et La Rochelle, puis à Saint-Malo et Brest, ceux de l’Île Saint-Jean dans les ports de la Manche, notamment à Saint-Malo, Cherbourg, Le Havre et Boulogne. On sait d’ailleurs que le port de l’Île d’Aix a servi d’avant-port de Rochefort pour soigner des réfugiés malades. Que faire de tous ces rescapés ?

forteresse de louisbourg reconstituée
Forteresse de Louisbourg reconstituée, Île du Cap-Breton, Nouvelle-Écosse (auteur Tango7174, licence CC BY-SA 4.0)

Très vite, le gouvernement a versé une allocation de subsistance de six sols par jour aux réfugiés nécessiteux, dont la plupart étaient totalement démunis. Encore fallait-il d’abord les identifier. Une majorité d’entre eux étaient considérés comme des Acadiens, mais n’étaient pas forcément tous des descendants de pionniers de l’Acadie. Les autres bénéficiaires étaient d’anciens habitants de l’Île Royale[2] auxquels s’ajoutaient des Canadiens émigrés dans ces îles, identifiés comme tels. C’est après la capitulation de Québec, en septembre 1759, puis celle de Montréal, un an plus tard, que l’émigration des Canadiens en France a été plus massive. Robert Larin estime même à 4000 le nombre de personnes nées ou ayant fondé une famille au Canada qui ont émigré en France pendant et après la guerre de Sept Ans, jusqu’en 1770, avec un pic en 1759 et 1760. Ce phénomène migratoire n’a du reste pas touché que l’élite de la société canadienne, comme les officiers civils et militaires et leurs familles, mais toutes les catégories sociales. Et même s’il s’agissait la plupart du temps de destins dispersés dans toute la France métropolitaine et coloniale, des regroupements ont parfois pu s’opérer, notamment en Touraine, aux colonies et dans les villes portuaires.

Peupler les colonies ou défricher le Royaume

Après la signature du traité de Paris, les côtes de Bretagne ont connu un autre épisode migratoire important. En mai et juin 1763, près de 800 réfugiés acadiens ont débarqué dans les ports de Saint-Malo et Morlaix, en provenance des ports anglais de Southampton, Bristol, Falmouth et Liverpool. Originaires de Grand Pré, en Acadie, ils avaient été déportés en Virginie en novembre 1755 mais, jugés indésirables en Virginie, avaient été renvoyés l’année suivante dans les ports anglais où ils étaient retenus en résidence surveillée. C’est parmi ces réfugiés qu’ont été recrutées, en 1765, la plupart des 78 familles de colons acadiens de Belle-Île-en-Mer. Cependant, dans les premières années de leur séjour en France, les réfugiés acadiens ont d’abord été pressentis pour peupler les colonies d’Amérique restées françaises, en premier lieu la Guyane, mais aussi les Antilles et, bien plus au sud, les îles Malouines. Tous ces projets ont échoué. En 1764, le projet de Guyane, pour lequel le ministre Choiseul avait de grandes ambitions, s’est même transformé en véritable désastre humanitaire.

vue du village de miquelon
Vue du village de Miquelon, dans l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon (auteur Murzabov, licence CC BY-SA 4.0)

Les Acadiens ont toujours exprimé des fortes réticences à émigrer dans des colonies au climat tropical qui leur faisait peur. Le climat de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon leur convenait beaucoup mieux, mais sa faible superficie et ses ressources limitées obligeaient le gouvernement à en restreindre la colonisation. Celui-ci a alors plutôt cherché à établir les Acadiens sur des terres à défricher du Royaume, mais jusqu’en 1773, seul le projet de Belle-Île-en-mer a vu le jour. Selon des estimations fournies en 1772 et 1773 par le commissaire de la marine Lemoyne, le nombre d’Acadiens (ou considérés comme tels) autorisés à percevoir la solde de six sous par jour était encore de l’ordre de 2500. A cette date, la majorité d’entre eux (près de 1800) s’étaient progressivement regroupés à Saint-Malo et dans la vallée de la Rance, formant ainsi un noyau principal, motivés sans doute d’abord par la volonté de regrouper les familles. Les Acadiens s’étaient organisés en communauté en choisissant des députés chargés de faire valoir leurs intérêts, bien que cette communauté fût profondément divisée sur la stratégie à adopter.

Que voulaient les Acadiens ? Rester en territoire français pour défricher de bonnes terres ? Retourner en Acadie (britannique) ou dans l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon (français) ? Emigrer en Louisiane (espagnole) ? En 1773, la grande majorité des Acadiens se sont finalement dirigés vers le Poitou, au sud de Châtellerault, où le projet de colonie agricole du marquis de Pérusse des Cars avait été accepté par le conseil du roi. Malheureusement, déçus de leur installation laborieuse et mécontents de n’avoir pas pu obtenir les titres de propriété et autres privilèges qui leur étaient promis, la plupart d’entre eux ont abandonné le Poitou pour rejoindre Nantes. C’est de cette ville portuaire qu’en 1785, 1600 Acadiens sont partis pour la Louisiane où ils ont contribué à former par la suite le peuple cajun.

Image d’en-tête : Bateau et ancre (artiste Darkmoon_Art, Pixabay, libre de droits).

Jean-Marc Agator

Sources

Fonteneau, Jean-Marie ; Les Acadiens citoyens de l’Atlantique, Chapitre X « Les Acadiens de Belle-Île » ; Editions Ouest-France, Rennes, 1996, p. 200-221.

Havard, Gilles et Vidal, Cécile ; Histoire de l’Amérique française ; Flammarion, Champs histoire, Nouvelle édition, 2019.

Larin, Robert ; Canadiens en Guyane 1754-1805 ; Septentrion (Québec), PUPS (Paris), 2006.

Mouhot, Jean-François ; Les réfugiés acadiens en France 1758-1785, l’impossible réintégration ? ; Presses universitaires de Rennes, 2012.

Vachon, André-Carl ; Les déportations des Acadiens et leur arrivée au Québec 1755-1775 ; La Grande Marée, Tracadie-Sheila (Nouveau-Brunswick), 2e édition 2017.


[1] L’Île Royale était l’actuelle Île du Cap Breton, en Nouvelle-Ecosse, et l’Île Saint-Jean l’actuelle Île du Prince Edouard.

[2] Les habitants de l’Île Royale n’avaient pas de nom propre (comme Acadien pour Acadie), même si certains, natifs de l’île, pouvaient avoir une ascendance acadienne ou canadienne.

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